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Mobilité et partage de l’espace public,
la quadrature du cercle genevois ?

L’émergence de la Covid-19 et la prise de conscience de la population face à la crise climatique ont donné un coup d’accélérateur à la multimobilité. Un nombre croissant de vélos, vélos électriques, trottinettes, e-trottinettes, vélos-cargos viennent s’ajouter au trafic individuel motorisé (TIM) et à celui des transports publics. Sans oublier le flux de marcheurs particulièrement dense à Genève.

Comment cohabitent les différents utilisateurs de l’espace public ? Comment rendre cette cohabitation plus harmonieuse ? 

Pour tenter de réguler un trafic motorisé privé encore pléthorique, les Transports publics genevois (tpg), sous l’impulsion du Conseil d’Etat, planchent sur une extension constante de leur réseau. Quelques chiffres donnent aujourd’hui le pouls de cette mobilité collective, enjeu majeur de Genève et de sa périphérie. Chaque jour, la flotte de 400 trams, trolleybus et bus transporte 800’000 personnes. Et si la régie orange atteint la vitesse commerciale la plus basse du pays, en dessous des attentes fixées par la loi, c’est principalement en raison des nœuds générés par les flux de circulation. «La gestion des points névralgiques comme Bel-Air, Rive ou encore Cornavin demeure extrêmement complexe. Les défis qui nous incombent sont de taille. Nous devons doubler notre offre d’ici à 2030, puis entre 2030 et 2050 multiplier encore cette offre par deux», explique Emmanuel Fankhauser, responsable du Pôle développement aux tpg.

Des lignes de ceinture

Alors ? Le transporteur explore la zone périurbaine. «Avec le Canton, nous étudions les différentes variantes de ces lignes de ceinture. Leur mise en place permettrait à la fois de désengorger le centre (aujourd’hui tous les parcours convergent vers l’hypercentre) et de répondre aux besoins d’une démographie grandissante», reprend Emmanuel Fankhauser. Si les transports en commun constituent une carte maîtresse dans la décongestion motorisée des axes genevois, ils ne sont pas les seuls. D’autres modes de déplacement viennent aujourd’hui prendre leur place dans le trafic. A commencer par les vélos dont le nombre a littéralement explosé durant la crise sanitaire. Christine Jeanneret, coordinatrice à la section genevoise de PRO VELO, affirme que pour rendre leur utilisation plus attrayante, son association s’engage sur plusieurs fronts. «Les pays du Nord, comme le Danemark, la Belgique et les Pays Bas ont investi des millions pour que les pistes et bandes cyclables ne soient pas entravées par d’autres modes de déplacement». 

Séparer les flux

Idéalement et selon elle, il faudrait séparer les usagers selon leur allure et vitesse de déplacement. «En fonction des aménagements, les cyclistes 45km/h devraient pouvoir continuer à circuler sur la route et tous les cyclistes devraient emprunter des sites distincts de ceux affectés à la mobilité piétonne», insiste-elle. Pour la coordinatrice de PRO VELO Genève, il manque encore une volonté politique plus marquée même si elle concède que ces dernières années, la mobilité douce a bénéficié d’un bon coup de pédale émanant des autorités. «Certaines pistes et bandes cyclables restent encore jalonnées de contraintes, à travers lesquelles il faut zigzaguer, la circulation cycliste demeure donc cahotique», insiste-t-elle. Elle note encore que si les sites dédiés aux vélos étaient plus larges, ils pourraient sans difficulté absorber le trafic des trottinettes qui, aujourd’hui investit parfois les trottoirs. 

Genevois champions de la marche

Et dans la cité de Calvin, les trottoirs et autre zones piétonnes ne sont guère déserts. Car le piéton qui sommeille dans tout Genevois est plutôt actif au regard des statistiques. «La marche représente en effet, le premier mode de déplacement en termes d’étapes* soit 39 % pour le canton ou le Grand Genève, 49 % pour la ville», explique Jenny Leuba, cheffe de projet à Mobilité piétonne suisse. Ce qui se traduit par une distance de 2km, soit 30 minutes de marche environ par jour. Le territoire est-il adapté à l’affluence piétonne ? «En soi, le potentiel est là. Avec ses paysages, son architecture, ses parcs, et relativement peu de pente, la ville de Genève est un cadre fascinant et très propice à la marche. Cependant, les conditions actuelles ne correspondent globalement pas encore à ce qu’on peut appeler un réseau piéton continu, sûr, lisible et attractif, détaille-t-elle.

Orienter les piétons

Ainsi, elle préconise qu’à l’instar des villes de Berne, Zurich et Bâle, les trottoirs, chemins, carrefours et autres traversées soient absolument bien aménagés et sécurisés. «L’attractivité du réseau passe aussi par une lisibilité géographique tels que les systèmes d’orientation mais aussi le coté intuitif des aménagements qui nous aident à nous orienter. Tout ceci doit être repensé. Des éléments de confort comme les bancs, l’ombre et la fraîcheur, l’éclairage, jouent aussi un rôle décisif dans le choix de marcher», assure Jenny Leuba. 

Des pôles multimodaux incluant les voitures

Et le transport individuel motorisé privé ? Comment envisage-t-il sa place dans le paysage mobile ? Yves Gerber, directeur du TCS, section genevoise déclare en préambule que les membres de l’association professionnelle sont aujourd’hui multimodaux. 58 % des 140’000 adhérents genevois utilisent aussi les transports publics. «La clef d’une distribution équitable de la voirie réside, à mon sens, dans la création de pôles multimodaux périphériques incluant des parkings. Actuellement et en dehors des P+R, les voitures sont les oubliées de ces infrastructures». Or, selon lui, bannir complètement le trafic individuel motorisé est impossible. «Aux heures de pointe, les transports publics sont parfois saturés. Dans certaines villes suisses, les pôles multimodaux prévoient des minibus ou des voitures à usage partagé conduisant les voyageurs à leur destination finale». Le directeur du TCS Genève est par ailleurs persuadé que la flexibilité des horaires de travail et le télétravail (même si ce dernier a des effets pervers au sens où les télétravailleurs optent pour des logements éloignés de leur lieu de travail) participeraient d’une meilleure harmonisation des flux routiers. «L’ultime fantasme serait de pouvoir réaménager la ville de telle sorte que les habitants puissent vivre et accéder à leurs postes de travail en quinze minutes». 

Une affaire de comportement

Reste enfin à savoir si la nouvelle mobilité se conforme aux règles de circulation. Pour Alexandre Brahier, porte-parole de la police genevoise, le nombre d’accidents, tous véhicules confondus, n’a pas connu de hausse significative. Toutefois et pour des raisons mathématiques, le nombre d’embardées et collisions impliquant vélos, e-vélos et trottinettes électriques ou non, a augmenté puisque ces véhicules sont davantage représentés. « Et pourtant, l’arsenal législatif permet une saine cohabitation entre les différents modes de transport à condition que chacun respecte les règles». Les problèmes surgissent lorsque les usagers se convainquent qu’ils peuvent rattraper le temps perdu dans le trafic. «C’est souvent pour ces motifs, qu’ils enfreignent les lois». Pour apaiser les tensions et sensibiliser les usagers de la nouvelle mobilité, la police participe à de nombreuses opérations en partenariat avec les communes genevoises.

*Parties d’un déplacement parcourue avec le même moyen de transport