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La mobilité à venir impose le développement des transports de masse

Quelle mobilité demain ? Un partage équitable de la chaussée entre tous les usagers : automobilistes, motards, piétons, cyclistes ? Ou une stratégie à la fois incitative et coercitive en faveur des transports collectifs et de la mobilité douce ? Pour le professeur d’économie à l’Université de Genève, Julien Daubanes, l’urgence climatique contraint à l’application du principe pollueur payeur. Rencontre.

Comment donner un nouveau coup d’accélérateur aux transports publics et à la mobilité douce ?

Julien Daubanes : Les transports publics et la mobilité douce n’obéissent pas aux mêmes logiques. En fait, ils sont concurrents. Dans certaines grandes villes comme Londres et New York, les transports en commun sont, depuis quelques années, en perte de vitesse. Des habitants ont opté, par exemple, pour le vélo car la mise en place d’infrastructures cyclables en a rendu son usage plus aisé. En outre, l’avènement des services de taxis réservables via une application a aspiré une partie des clients des transports collectifs.

Pourtant, il y a une nécessité au développement des transports de masse comme de la mobilité douce. Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’urgence climatique et les actions à mener pour la réduction des émissions de CO2 vont immanquablement déterminer les politiques de transport à venir. Les populations devraient être incitées à se concentrer davantage dans les villes car la transition énergétique va contraindre les déplacements. Or, les décideurs vont devoir réguler le trafic motorisé qui congestionne les villes dans leurs hypercentres comme dans leurs périphéries. Trafic motorisé qui génère en outre des pollutions (air et bruit) préjudiciables aux riverains. Dès lors, la seule solution sera de redimensionner les transports de masse. Comment ? En multipliant les fréquences des navettes, en poursuivant l’augmentation des lignes, en intensifiant la création de sites propres aux transports publics afin d’en favoriser la fluidité.

Quels sont les principaux écueils au développement des véhicules mus par des énergies vertes ?

JD : Les voitures et les vélos électriques sont moins polluants que les voitures conventionnelles. Cependant, on ne peut pas dire qu’ils sont des moyens de déplacements complètement « propres ».

Une étude très sérieuse a examiné l’effet des subventions aux voitures moins polluantes en France en 2008. Les nouveaux acquéreurs d’une automobile moins polluante recevaient un bonus. Paradoxalement, cette politique a augmenté les émissions de CO2 ! Pourquoi ? Le subside a encouragé l’achat d’un nouveau véhicule, ce qui a augmenté les ventes, et donc l’utilisation, de voitures. Or, les voitures moins polluantes consomment malgré tout de l’énergie. Ce qu’on aurait pu encourager pour éviter cela, c’est de ne pas acheter de voiture du tout !

S’agissant des vélos électriques, ils ne peuvent avoir une répercussion positive sur l’environnement que s’ils remplacent une voiture mais pas une bicyclette conventionnelle.

Alors, la mobilité à venir n’a pas d’autre choix que de s’arc-bouter sur les transports de masse et les modes de déplacements non polluants comme la marche et le vélo traditionnel.

Quelles villes européennes ont profondément modifié leur mobilité ?

JD : Copenhague a dopé le trafic cycliste en créant des infrastructures sécurisées et spacieuses. Plus de 60% des citoyens y utilisent le vélo pour aller à leur travail, leur école, ou leur université. Oslo est en train de pénaliser le trafic routier en supprimant les places de parking en surface (à l’exception d’un petit nombre réservé aux personnes en situation de handicap et aux livraisons) pour aménager des espaces de détente et des pistes cyclables. Tallinn a, elle, procédé, par étape. La capitale d’Estonie a en effet commencé par instaurer la gratuité des transports collectifs. Puis, elle a progressivement pénalisé l’usage de voiture individuelle. Résultat : le trafic motorisé au centre-ville a significativement diminué, rendant la ville plus attractive, et le nombre de voyageurs en transports collectifs a largement augmenté. Londres a instauré, dès 2003, un péage destiné à dissuader le trafic motorisé pour limiter la congestion du centre-ville.

A terme, ne serait-il pas opportun de réduire les déplacements, notamment professionnels (déploiement du télétravail) plutôt que d’agir sur la fluidité du trafic ?

JD : Cette stratégie est déjà en marche. De plus, l’expérience vécue durant les périodes de confinement récentes a aidé à convaincre certains managers septiques. Cette expérience laissera certainement des traces. Même si le télétravail demeure globalement circonscrit aux professions intellectuelles et de service. Et puis, les nouvelles habitudes de consommation (achat en ligne) infléchissent également la courbe des déplacements. 

Ce qu’il faudrait, c’est encourager la réduction des déplacements à hauteur de leur contribution aux problèmes de pollution et de congestion, par des politiques publiques incitatives.

La Covid-19 et les problèmes qui ont surgi lors de cette pandémie ont-ils renforcé la prise de conscience sur l’emballement climatique et par conséquent sur l’urgence de repenser la mobilité ?

JD : La prise de conscience ne suffit pas. Le climat impose une riposte coordonnée à l’échelle mondiale car les émissions de CO2 ont le même impact quelle que soit leur origine. Je crois qu’il est trop risqué de tout miser sur la responsabilité individuelle, car cette responsabilité est diluée dans le grand nombre d’individus impliqués au niveau global. C’est ce que les économistes appellent le phénomène de passager clandestin : chaque individu se défausse sur l’autre et ne passe pas à l’acte.

Il y a un très fort consensus entre économistes : chaque personne doit être taxée selon sa dépense en carbone. Les prix des fuels carbonés et de l’électricité doivent refléter leurs vrais coûts pour la société et les générations futures. Les prix des véhicules, électriques ou conventionnels, doivent aussi inclure une majoration correspondant aux émissions que leur production génère.

Chacun paierait le véritable prix de sa consommation, et serait ainsi amené à prendre des décisions responsables. La facture sera salée. Elle le sera quoiqu’il en soit, il ne faut pas se mentir, mais beaucoup moins que ce qui attend l’humanité si rien n’est entrepris pour endiguer l’emballement climatique. Cela dit, la taxation du carbone permettrait aussi de lever des recettes fiscales qui pourraient être affectées par exemple à l’accompagnement de changements d’habitudes, y compris au développement de transports de masse moins polluants.